Les constructeurs révisent leur business model
Le secteur automobile a su accompagner ses clients dans un univers de produits et de services de plus en plus complexe. C’est une transformation de fond engagée depuis plusieurs années, certains étant plus avancés que d’autres, mais tous ayant compris la nécessité de faire évoluer leur relation avec les clients. Le secteur parfois vu comme difficile à faire évoluer, obtient des scores d’excellence, comparables à ceux enregistrés dans les secteurs du luxe. Engagés dans des transformations majeures de leur approche client, les constructeurs jouent maintenant la carte des services associés et proposent de nouvelles offres de mobilité.
Le digital au cœur de la relation
Le site de la marque est devenu incontournable pour vendre ou acheter une auto. De manière habituelle maintenant, les clients se renseignent sur le véhicule, le configurent, identifient les options, analysent les gammes de prix et arrivent en concession très renseignés. Ainsi, le parcours client est initié sur les sites digitaux et permet aux concessionnaires de finaliser la vente en recevant de leurs constructeurs des leads qualifiés et des demandes d’essais (“web to store”). Souvent ces parcours sont “omni-channels”, les clients pouvant par exemple aussi rebondir sur une campagne marketing de leur concessionnaire ou une relance de leur organisme de financement concernant leur véhicule actuel s’il arrive bientôt à échéance du contrat.
La “nouvelle frontière” devrait être le développement de la vente directe sur internet dont les initiatives sont de plus en plus nombreuses. Par exemple, depuis 2017 Peugeot UK propose la configuration, l’estimation de la reprise de l’ancien véhicule, le choix des garanties, les forfaits entretien et les offres de financement avec la possibilité de verser directement un acompte pour réserver le véhicule. Pour accompagner ces initiatives et capitaliser toujours plus sur la valeur ajoutée de l’humain dans les parcours digitaux, des collaborateurs restent à disposition pour guider les clients pas à pas tout au long du parcours sur le web (via chat ou téléphone par exemple).
Créer de la préférence de marque
Bien plus que satisfaire leurs clients sur des demandes exprimées, les entreprises doivent en effet réussir un second challenge : créer un lien durable avec leurs clients afin qu’ils soient convaincus que la marque dont ils sont clients offre la meilleure proposition de valeur. Les leviers de cette préférence sont d’une autre nature que ceux de la seule performance des processus de la Relation Client. Ils reposent sur l’émotionnel et la personnalisation de la relation. Là où chaque entreprise pousse le « digital everywhere », le « human everywhere » n’a jamais été aussi important pour créer de la préférence auprès des clients.
Lorsque les clients expriment un besoin de visualiser et de tester une voiture, dans le cas de demandes à densité émotionnelle forte (segment premium) ou à niveau d’expertise élevé (véhicules électriques), le lieu physique (concession, showroom, salon…) reste encore incontournable. C’est dans ce contexte que les entreprises doivent réussir à créer des interactions positives et de valeur avec chaque client.
Ainsi, dans certains réseaux les clients sont accueillis par des conseillers avant de traiter au final avec un vendeur (ex. : BMW / Mini avec les “Product Genius” sur le modèle des experts genius d’Apple, ou encore des approches similaires chez PSA et Mercedes). Les véhicules étant de plus en plus équipés de nouvelles technologies, ces nouveaux profils qui n’ont pas la pression de la “vente”, permettent de renseigner le client, de valoriser la marque et de faire acte de pédagogie. C’est un moment privilégié dans la relation du client avec la marque sur lequel il est important de capitaliser. C’est ce parcours client mixant les canaux digitaux et le travail des équipes en concessions qui vaut encore au secteur automobile ce classement élevé dans les notes de notre enquête.
À ce titre, il sera intéressant de voir comment le parcours client Tesla va évoluer suite à la décision toute récente de supprimer le nombre réduit de points de vente physiques existants pour s’engager résolument dans un canal de vente purement digital.
L’avènement de la culture client
Pour cela, les réseaux de concessionnaires se sont massivement équipés d’outils de gestion de la Relation Client via des éditeurs de logiciels CRM. Avant cet équipement, les données gérées concernaient à 80% les véhicules et à 20% seulement les clients.
Depuis quelques années avec l’avènement des solutions CRM en “cloud”, certains constructeurs sont même passés en mode de partage de données clients avec les concessionnaires pour offrir un parcours client fluide et sans couture. L’objectif de cette démarche est de gérer un lien plus efficace entre les canaux digitaux des constructeurs et la finalisation de la vente en concession.
La connaissance client est ainsi renforcée en créant une “vue 360°”. Ces nouvelles technologies sont au service d’une culture client plus fiable, englobant tous les points de contacts de la relations clients (vente VN, APV, services, VO…), ce qui, au final, devrait permettre au client de se sentir encore mieux valorisé.
Placer le client au cœur de l’entreprise implique une transformation transverse des entreprises et de leur écosystème proche qui doit être mis en musique pour refléter les standards fixés par les marques. Ainsi, notre classement reflète les efforts des constructeurs et des réseaux pour se transformer de manière continue.
Les réseaux sont maintenant systématiquement soumis à des enquêtes de satisfaction de clients sur la vente et l’après-vente (“Voice of Customer”) et à des appels mystères. Les collaborateurs sont ainsi motivés et la voix du client est entendue dans l’ensemble de l’entreprise.
Certains réseaux bénéficient même de la part de leur constructeur de programmes de “coaching” sur l’Expérience Client, suivent des parcours de formation complémentaire et progressent en fonction des notes de satisfaction obtenues. Cette culture client transverse dans l’entreprise est un enjeu de taille pour le secteur automobile où la connaissance client ne devrait plus être morcelée entre revendeurs et marques, il est donc clé de pouvoir gérer une cohérence et une posture “client centric” tout au long du cycle “vente / après-vente / revente”.
Par ailleurs, les concessions elles-mêmes, sous l’impulsion de leurs investisseurs et de leurs constructeurs, vont continuer à se transformer pour suivre les mouvements de “disruption” à l’œuvre (vente internet, développement des services, format des concessions revu…). Pour les clients, un des effets les plus visibles devrait être le développement de la réalité augmentée permettant de vivre de nouvelles expériences immersives en ayant recours à la 3D ou à la réalité virtuelle (ex. : Audi City, Fiat Store Brazil, masques de VR sur certains sites Peugeot ou Mercedes).
Ceci pourrait être un atout pour visualiser des véhicules qui ne sont pas en stock ou faire de la pédagogie sur les nouvelles motorisations électriques et hybrides.
Vers une mobilité durable
Les clients évoluent dans leurs usages de l’automobile et font désormais fi des frontières bien nettes que les entreprises croient pouvoir organiser pour structurer et défendre leur univers de consommation.
Les légitimités passées ne seront sans doute plus celles de demain. Depuis de longues années, le business model des concessions repose encore beaucoup sur l’activité après-vente. Les constructeurs se battent pour garder le client dans leur propre écosystème, très concurrencé notamment par les “fast-fitters” (Midas, Speedy…).
Or, si les opérations de révisions rythment la relation avec le client, cela ne suffit plus pour le fidéliser, surtout dans la perspective de véhicules électriques réclamant moins d’entretien.
Tout l’enjeu porte sur les services additionnels et l’excellence du service dans la relation post-vente.
Les constructeurs nouent des partenariats pour répondre aux nouvelles attentes des clients qui plébiscitent l’économie collaborative et la consommation à l’usage : plateforme de mise en relation, covoiturage, voire proposition d’interopérabilité entre différents modes de transports.
La tendance est à la multiplication de services annexes via des partenariats avec d’autres acteurs de la mobilité pour retenir le client, au-delà de l’achat comme la possibilité de louer une auto, un vélo, un scooter pour répondre aux besoins de mobilité ponctuels, notamment en milieu urbain. D’où l’émergence chez les constructeurs de nouvelles marques dédiées aux services de mobilité : Free2Move (PSA), Renault Zity, Share Now (coopération BMW et Daimler), MOIA (VW).
À la fois pour faciliter les usages et renforcer la Relation Client, les services liés aux véhicules connectés vont continuer à se développer, surtout en perspective des véhicules autonomes ou semi-autonomes. Les applications permettant de verrouiller et de déverrouiller les portières, de vérifier le niveau d’essence, de démarrer ou d’arrêter la climatisation à distance, vont se généraliser. Elles peuvent aussi simplifier l’entretien en établissant un suivi des révisions à faire avec le carnet d’entretien virtuel, géolocaliser le véhicule en cas de vol mais aussi trouver une place de parking ou une borne de rechargement (ex. : Renault Easy Connect, Peugeot Connect, Ford Pass, BMW Connected drive…).
La Relation Client dans l’automobile est donc encore en pleine mutation et le défi pour les constructeurs est d’en garder le leadership dans un contexte de “Mobility as a service” (MAAS) avec des voitures connectées, électriques, partageables et à terme autonomes.
Jean-Pierre Cartier
Associé Secteur Automobile, BearingPoint
Karen Tartour
Directrice Expertise Expérience Client, Division Insights, Kantar
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